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Variétés naturelles de tomate, kokopelli |
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Le rapport 2005 du groupe Monsanto a fait bondir agriculteurs et associations écologistes. Six ans après avoir obtenu de la multinationale la promesse de ne pas commercialiser de semences stériles, le nouveau rapport renouvelle cet engagement en termes plus évasifs. Les ONG ont aussitôt signé une pétition, obligeant Monsanto à revoir sa copie. Cet incident témoigne du malaise général des agriculteurs et de leurs craintes quant au respect futur de la biodiversité.
La guerre des semences pourrait être un des enjeux majeurs de ces prochaines années. Les brevets déposés sur les graines encouragent les entreprises à protéger leurs semences, afin d’éviter qu’elles ne contaminent par dissémination les champs mitoyens et soient utilisées librement. Cette privatisation des semences incite également ces entreprises à freiner le développement des graines "traditionnelles" dont elles ne sont pas propriétaires.
Semences libres versus graines "privées"
Pour faire valoir ce droit du propriétaire, plusieurs moyens de contrôle sont à l’épreuve. En France, les graines destinées à être commercialisées doivent être inscrites dans le Catalogue officiel des plantes potagères, publié sous l’égide du Ministère de l’Agriculture. "L’inscription d’une variété est très chère et doit être renouvelée chaque année," regrette Raoul Jacquin, agriculteur et membre de Kokopelli, une association qui oeuvre pour la protection de la biodiversité et la production de semences rares et biologiques. "Nous cultivons en moyenne 12 000 variétés; il nous est simplement impossible de payer 7500 euros par an pour inscrire chacune d’entre elles. De plus pour être acceptée, une graine doit être distincte des variétés existantes, homogène et stable dans le temps. Or la biodiversité est par principe ni homogène, ni stable. Seules les semences hybrides peuvent respecter cette norme." Les agriculteurs soucieux de préserver la biodiversité ou désireux de vendre des variétés traditionnelles sont alors fragilisés. Ainsi, Kokopelli est actuellement poursuivi en justice par le semencier Baumaux pour concurrence déloyale, sous prétexte que l’association met sur le marché des variétés non-présentes au catalogue.
Ce catalogue est une particularité française, et il n’empêche pas la prolifération des semences par dissémination. C’est pourquoi en 1999 le groupe Monsanto, multinationale spécialisée dans la biotechnologie végétale et premier semencier mondial depuis le rachat en 2005 de Seminis Inc., avait souhaité acquérir le brevet du Technology protection system (ou Terminator). Cette technologie destinée à créer des semences stériles, donc inutilisables à la seconde génération, avait été brevetée par le gouvernement américain et la Delta Pine Land Company. Le tollé fut tel lorsque les ONG ont appris l’imminence d’un rachat de cette entreprise par Monsanto que le PDG de l’époque, Robert B. Shapiro, avait envoyé en octobre 1999 une lettre ouverte à Gordon Conway, président de la Rockefeller Foundation, où il revenait sur sa position en termes clairs : "Je désire vous informer que nous nous engageons publiquement à ne pas commercialiser les technologies de stérilisation des semences, dont celle que l’on appelle Terminator. (…) Même si nous ne détenons encore aucune technologie de stérilisation des semences, il nous semble important de répondre dès maintenant à ces préoccupations par un engagement clair : nous ne commercialiserons pas de systèmes de protection génétique visant à rendre les semences stériles." En 2000, le groupe avait réaffirmé ses engagements dans une charte "The New Monsanto Pledge", autour de cinq valeurs clés : le dialogue, la transparence, le respect, le partage et l’utilité.
Vive réaction des ONG
C’est pourquoi les associations ont été surprises en lisant la page 29 du "2005 Pledge Report" de Monsanto sur les technologies de restriction génétique, où l'entreprise revient sur cette décision de 1999 : "[Notre] engagement tient toujours, mais les gens de Monsanto réévaluent cette position au fur et à mesure des progrès de la technologie. Les technologies de stérilisation des semences ne sont qu’un élément de la catégorie plus large des technologies de restriction génétique (les GURT). " Les GURT sont des graines qui ne peuvent se développer qu’avec une hormone de croissance. "Nous nous sommes engagés à ne pas commercialiser de semences stériles, mais nous sommes une entreprise à but économique," précise Mathilde Durif, responsable de la communication de Monsanto. "Nous avons besoin de moyens de contrôle pour éviter l’utilisation abusive de nos semences. Nous réfléchissions aujourd’hui au concept de gènes allumés (la graine est activée par une hormone de croissance) et de gènes éteints (sans cette hormone, la graine est inactive). La graine n’est pas stérile, mais les agriculteurs devront revenir vers nous chaque année pour réveiller les propriétés dues à la manipulation transgénique." Ces technologies, encore à l’étude, pourraient être commercialisées après concertation de la société civile : "(…) Monsanto n’exclut pas la possibilité de développer et d’utiliser l’une de ces technologies à l’avenir. La société continuera d’étudier les risques et les avantages de ces technologies au cas par cas," précise encore le Pledge.
L’association canadienne Ban Terminator Campaign a aussitôt réagi en faisant signer une pétition à 300 ONG. L’impact a été immédiat : le 2 mars dernier, Monsanto a présenté ses excuses à l’association, et est retourné à ses premiers engagements. Cet incident, qui arrive quelques jours avant la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) prévue du 20 au 31 mars à Curitiba au Brésil, fait frémir les associations. En 2000, un moratoire de fait avait été adopté sur les GURT, sous prétexte qu’elles pourraient provoquer un assujettissement des agriculteurs au profit des semenciers, et nuire à la biodiversité. Les ONG savent qu’à Curitiba, l’industrie de la biotechnologie va redoubler d’efforts pour renverser ce moratoire et imposer sa technologie.
"Sans vouloir prophétiser le pire, la création d’une hormone de croissance induit celle d’une hormone de décroissance," reprends Raoul Jacquin. "L’alimentation deviendra une arme redoutable, aux mains d’une multinationale." Or Monsanto s’est déjà fait tristement remarquer pour sa participation à la fabrication de l’Agent Orange, défoliant à base de dioxine utilisé pendant la guerre du Vietnam pour affamer la population, et dont les conséquences sanitaires et écologiques sont encore perceptibles aujourd’hui. Un passif qui peut justifier les craintes des agriculteurs.
Gaëlle Bohé Mis en ligne le :
13/03/2006
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